Les figures de la cruauté
Entre civilisation et barbarie
Depuis les enfants transformés en bombes, en boucliers humains, éduqués pour haïr et tuer, les hordes d’assassins déguisés en héros, en martyrs, les supplices filmés, jusqu’aux dispositifs industriels de déshumanisation, d’extermination, en passant par les abus de pouvoir et les crimes sexuels… la cruauté prospère ; dans les situations extrêmes, mais aussi dans la vie politique, intellectuelle, scolaire, professionnelle, médiatique, familiale, dans l’amour et l’amitié, avec le concours de nos écrans si propices à sa propagation, et de la banalisation du mal.
Mêlant pulsion de mort, destructivité et sadisme, la cruauté se caractérise par la jouissance perverse narcissique du pouvoir sur l’autre, de l’emprise sur le psychique ou sur le réel du corps. Son offre de toute-puissance et d’illusion d’intégrité cimente les régimes totalitaires et génocidaires, le fanatisme, les organisations intégristes terroristes, ou les bandes criminelles (tel le Gang des Barbares).
Enjeu dans le développement psycho-sexuel de l’enfant, dans certaines expériences adolescentes, dans la relation à l’autre, dès l’envie et les haines primitives, dans l’anorexie, les pathologies narcissiques, perverses, paranoïaques, chez les serial killers, on la retrouve à chacune des étapes de la vie ; tout sujet individuel ou collectif s’y trouve confronté dans son processus de civilisation et l’élabore par ses rituels symboliques et par ses constructions tels l’art, la littérature, le travail, la science… Il s’agit de résister à sa fascination, et de l’endiguer : elle est un des moments propres aux dialectiques de la culture et de la création.
« Le progrès, écrit Freud, a conclu un pacte avec la barbarie. » La place qu’une époque, une idéologie font à la cruauté caractérise un état de culture.
Composé dans la suite du Séminaire 2014-2015 de Schibboleth – Actualité de Freud – intitulé Figures de la cruauté, le présent ouvrage traite de la cruauté, non comme une abstraction métaphysique ou un thème sociologique, mais comme une réalité psychique, affectant des individus et des groupes bien réels, et nourrissant des idéologies totalitaires. Il envisage notre époque en considérant la cruauté comme un symptôme, comme une notion psychopathologique et comme un indice culturel ; en y interrogeant la part de jouissance prélevée dans sa mise en scène par chacun, il en convoque la dimension subjective.
Au fil de ces pages, près de 40 intellectuels de référence (psychanalystes, psychiatres, thérapeutes familiaux, historiens, philosophes, géopoliticiens, sociologues, juristes, littéraires, analystes des discours, des images et des médias, artistes…) poursuivent ensemble la clinique du contemporain menée par Schibboleth – Actualité de Freud –.